Peuplement de la Polynésie: une migration océanienne

6 Oct 2021 | Histoire et Géographie | 17 commentaires

Peuplement de la Polynésie. Histoire de l'origine et de la migration austronésienne en Océanie

Le peuplement de la Polynésie est la dernière étape de la colonisation de la planète par l’espèce humaine. Et ce n’est pas un hasard. Des îles minuscules perdues au milieu de l’immensité de l’océan Pacifique ont rendu la tâche des candidats au voyage particulièrement difficile. Mais grâce à leur maîtrise de la navigation, les marins polynésiens ont réussi à surmonter les obstacles. Les études récentes ont permis de retracer les étapes de cette migration même si certains points restent encore imprécis ou débattus par les scientifiques.

Les Origines du peuple polynésien

Les théories rejetées

Plusieurs théories plus ou moins fantaisistes ont tenté d’expliquer le peuplement de la Polynésie. L’écrivain britannique James Churchward (1851-1936) affirmait que les îles de l’actuel triangle polynésien étaient les vestiges d’un continent englouti à la suite d’un gigantesque cataclysme. Plus sérieusement, l’anthropologue norvégien Thor Heyerdahl a popularisé, dans les années 1950, la thèse de l’origine sud-américaine du peuplement de la Polynésie. Pour lui, la présence en Polynésie de la patate douce, l’existence de légendes relatant des voyages depuis l’Est et les alizés, vents dominants d’Est, étaient des preuves que le peuplement de la Polynésie était d’origine américaine. Même si sa théorie était séduisante, ce n’est pas celle qui est actuellement retenue pour expliquer le peuplement de la Polynésie.

Le peuplement de la Polynésie depuis l’Asie

De nombreuses preuves existent pour affirmer que les populations des îles du Pacifique Sud sont originaires du Sud-Est asiatique. Les langues polynésiennes appartiennent à la famille austronésienne originaire du sud-est de la Chine et de Taïwan. Les plantes alimentaires, sauf la patate douce, tout comme le cochon, le chien, le poulet et le rat sont issus d’Asie du Sud-Est, de Nouvelle-Guinée ou des îles Bismarck. Les études de l’ADN des populations actuelles et des squelettes humains anciens confirment l’origine asiatique du peuplement de la Polynésie.

La présence en Polynésie de la patate douce, originaire d’Amérique du Sud, est un argument pour penser que les populations américaines et polynésiennes ont été en contact avant l’arrivée des européens dans la région. Plusieurs études génétiques récentes l’ont confirmé. Une publication de 2020 dans Nature, suggère qu’un unique contact s’est produit en Polynésie orientale, avant le peuplement de l’île de Pâques, entre des Polynésiens et des Amérindiens de la Colombie actuelle. Mais une question reste cependant débattue : qui a fait le voyage ?  Seraient-ce les Amérindiens qui auraient navigué vers la Polynésie ou bien les Polynésiens qui auraient débarqué en Amérique du Sud avant de rentrer chez eux avec la patate douce et quelques gènes différents ?

Comment les îles polynésiennes ont-elles été peuplées ?

Les obstacles rencontrés par les explorateurs polynésiens

Les marins polynésiens ont été confrontés, en premier lieu, à l’immensité de l’océan Pacifique et la très petite taille des terres. Certaines îles sont en effet extrêmement isolées comme Hawaii qui se situe à 3500 km au Nord des Marquises ou l’île de Pâques qui est à 2500 km de Pitcairn et à 4000 km des côtes chiliennes. L’autre obstacle majeur à la navigation est la direction des vents dominants dans cette région du monde. Les alizés soufflent depuis l’Est et compliquent donc l’exploration des îles vers l’Ouest. Une autre difficulté rencontrée sur les îles découvertes était, à cause de leur isolement géographique, la très grande pauvreté en espèces végétales et animales autochtones. Les explorateurs devaient donc emporter avec eux plantes et animaux afin de les introduire sur les îles avant de pouvoir y vivre.

Pour se repérer : Cartes de la Polynésie française

Les grandes pirogues doubles à voile

Pour les longs voyages de colonisation, il fallait des embarcations stables, fiables et suffisamment spacieuses pour abriter l’équipage, les passagers, les vivres ainsi que les plantes et les animaux à introduire sur l’île. Les grandes pirogues doubles à voile étaient parfaitement adaptées à cet usage. Très peu de vestiges ont été retrouvés et ces embarcations sont essentiellement connues grâce aux descriptions des premiers explorateurs européens.

Peuplement de la Polynésie grace aux grandes pirogues doubles à voile

Hokulea : réplique d’une grande pirogue double

Les pirogues mesuraient entre 15 et 30 mètres et ressemblaient un peu aux catamarans actuels. Elles étaient constituées de deux coques sur lesquelles reposait une plateforme capable d’embarquer une cinquantaine de passagers. Des répliques modernes de ces pirogues ont permis de mieux comprendre comment les Polynésiens naviguaient.

L’art de la navigation sans instrument

Les chercheurs occidentaux ont pendant longtemps sous-estimé les talents de navigation des marins polynésiens. Or, il est maintenant bien établi que la découverte des îles et en particulier les plus éloignées n’était pas le fruit du hasard mais bien le résultat d’une stratégie d’exploration. Sans instrument de navigation les marins étaient capables de se repérer dans l’immensité de l’océan pour aborder les îles.

Leurs connaissances astronomiques leur permettaient de déterminer leur route. Ils se repéraient en suivant les rua ou « chemins d’étoiles ». En zone intertropicale, les étoiles se lèvent à l’Est, se déplacent verticalement au zénith et se couchent à l’Ouest. Les navigateurs utilisaient une succession d’étoiles guides qui au fil de la nuit sortaient de derrière l’horizon dans la direction de l’île à atteindre ou de la zone à explorer.

Navigation en Polynésie grâce aux étoiles. Rua

Navigation grâce aux rua – Muséum de Toulouse

En cas de temps nuageux, les marins polynésiens savaient aussi déterminer leur position en analysant la direction de la houle et des vents. La couleur de la mer, témoin de sa profondeur, le vol des oiseaux, les débris végétaux à la surface de l’eau et l’aspect des nuages permettaient de localiser les îles ou les archipels proches.

La carte de Tupaia

Tupaia était un chef et un prêtre originaire de Raiatea qui rejoignit le capitaine Cook lors de son escale sur Tahiti en 1769. Il guida Cook à travers les îles de la Société jusqu’en Nouvelle-Zélande où il servit d’intermédiaire avec les Maoris qui comprenaient sa langue et le vénéraient comme un ambassadeur. « La carte de Tupaia » fut dessinée par Cook à partir de la description par Tupaia des 72 îles autour de Tahiti. Cette carte démontre bien la maîtrise de la navigation que possédaient les Polynésiens à cette époque.

Carte de Tupaia

Carte de Tupaia – British Library

Les étapes du peuplement du Pacifique

Peuplement ancien

Les premières implantations humaines dans les îles de Mélanésie sont d’origine asiatique et remontent à plus de 50000 ans. Il y a environ 4500 ans, une seconde vague de migration de langue austronésienne venue de Taïwan arrive en Indonésie .

Peuplement de la Polynesie et Melanesie

Les grandes étapes du peuplement de la Mélanésie et de la Polynésie – Eric Conte, Une histoire de Tahiti ©

 

Peuplement de l’Océanie proche par les groupes Lapita

Poterie Lapita

Tesson de poterie Lapita – Musée de Nouvelle-Calédonie

Il y a 3500 ans, ces nouveaux venus de langue austronésienne s’installèrent dans l’archipel Bismarck à l’est de la Nouvelle-Guinée. Ils se distinguaient de leurs prédécesseurs par la fabrication de céramiques connues sous le nom de Lapita. Entre 1400 et 1100 av. J.-C. ces populations occupaient l’Océanie proche jusqu’à l’extrémité des îles Salomon.

Peuplement de l’Océanie lointaine

Vers 1100 av. J.-C., certains groupes Lapita entreprirent la colonisation de zones encore inexplorées à l’est des îles Salomon. Les îles de cette zone étant petites et éloignées les unes des autres, ils durent alors améliorer leurs embarcations et imaginer des nouvelles techniques de navigation. En 900 av. J.-C, soit en deux siècles, une vaste région comprenant le Vanuatu, la Nouvelle-Calédonie, Fidji, Wallis et Futuna, Tonga et Samoa était colonisée.

Peuplement de la Polynésie orientale

Le peuplement de la Polynésie orientale fut tardif puisqu’il débuta après l’an 500 de notre ère. Les scientifiques évoquent plusieurs hypothèses pour expliquer cette pause de 1500 ans entre la colonisation des îles Samoa, Wallis et Futuna et la poursuite de l’expansion vers l’Ouest. A cause des distances très importantes entre les îles, il aurait encore été nécessaire d’améliorer les embarcations en développant la grande pirogue double à voile. Le régime des vents aurait été plus favorable à la navigation vers l’Ouest entre 800 et 1300 apr. J.-C. favorisant alors l’exploration de cette région de l’océan Pacifique à cette période.

Peuplement de la Polynesie orientale

Essai de reconstitution du peuplement du triangle polynésien – Eric Conte, Une histoire de Tahiti ©

Les dates du peuplement de la Polynésie orientale restent relativement peu précises. Hawaii, au nord du triangle polynésien, aurait été atteint vers 1000 apr. J.-C., l’île de Pâques à l’Ouest entre 1000 et 1200 apr. J.-C. et la Nouvelle-Zélande aurait été colonisée vers 1300 apr. J.-C. Pour les îles de la Polynésie française les vestiges retrouvés ne permettent que d’estimer les dates d’arrivée des premiers habitants : vers 800 apr. J.-C. pour les îles de la Société, vers 800-900 apr. J.-C. pour les Marquises et les Gambier, vers 1000 apr. J.-C. pour les atolls des Tuamotu et 1100 apr. J.-C. pour les Australes.

En conclusion

L’histoire des origines et les premières étapes du peuplement de la Polynésie sont maintenant assez bien connues grâce, en particulier, à l’apport récent de la génétique. L’étude de cette colonisation du Pacifique a permis aussi de redécouvrir les techniques de navigation sans instrument des Polynésiens de l’époque. Les dernières étapes du peuplement de la Polynésie orientale restent cependant imprécises et cela nous réserve donc encore des surprises !

Une grande partie de cet article a été rédigé avec l’aide de l’excellent livre intitulé Une Histoire de Tahiti dirigé par le Professeur Eric Conte, ethno-archéologue à l’université de la Polynésie française. J’ai essayé de synthétiser les informations et de ne pas commettre trop d’erreurs, mais je ne suis ni archéologue ni anthropologue. Alors n’hésitez surtout pas à apporter des précisions ou des corrections dans les commentaires de l’article.